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PIONNIERS ET PRECURSEURS > IANNIS XENAKIS
   



IANNIS XENAKIS

par Makis Solomos
Université Montpellier 3, Institut Universitaire de France



Repères historiques


Né en 1922 (ou 1921) à Braïla (Roumanie), dans une famille de commerçants grecs, Xenakis entre au Polytechneio, l’Université scientifique d’Athènes, pour des études d’ingénieur civil. Parallèlement, il travaille la musique avec un Grec de Géorgie, Aristotelis Koundourov. Durant la seconde guerre mondiale, il s’engage dans la résistance, au sein des communistes. Lors des « événements de décembre 1944 », où les Anglais veulent reprendre en main la Grèce, il est grièvement blessé par un éclat d’obus dans l’attaque d’un char anglais avec des cocktails molotovs. Avec la guerre civile qui commence en 1947, il plonge dans la clandestinité et finit par fuir la Grèce.

A Paris, il trouve du travail dans l’atelier de Le Corbusier. D’abord employé comme ingénieur, il participe de plus en plus à l’activité de l’atelier en tant qu’architecte. Il réalise les « pans de verre ondulatoire » du couvent de La Tourette (1955) (exemple 1).

Pour le célèbre Pavillon Philips de l’Exposition Universelle de Bruxelles de 1958, il dessine des paraboloïdes hyperboliques (exemple 5), dont certains graphiques sont empruntés à des glissandi de Metastaseis. Le Corbusier tarde à reconnaître la paternité de Xenakis en ce qui concerne le Pavillon ; la tension, au sein de l’atelier, s’accroît et Xenakis finit par le quitter, mettant ainsi un terme à sa carrière d’architecte.

En matière de musique, c’est auprès de Messiaen que Xenakis finira par se trouver lui-même. Dans ses premières compositions, il tente en quelque sorte d’être le Bartók de la Grèce, cherchant un compromis entre une inspiration grecque (polyphonies de l’Epire, rythmes aksaks, etc.) et des techniques avant-gardistes (série de Fibonacci, techniques combinatoires, etc.), comme en atteste la Procession vers les eaux claires (1953).

La première œuvre qui propulse Xenakis sur le devant de la scène musicale est Metastaseis (1953-1954), caractérisée, entre autres, par ses champs de glissandi (exemple 2). Avec Pithoprakta (1955-1956), il introduit le calcul des probabilités, qu’il annonçait dans son célèbre article de 1955 « La crise de la musique sérielle » (repris dans Kéleütha, p. 39-43), où il critiquait la « contradiction inhérente à la musique sérielle » entre une écriture locale et un résultat qui, pour l’oreille, « est surface, masse ».

A la fin des années 1950 et au début des années 1960, Xenakis poursuit deux projets musicaux différents. D’une part, il entre au studio de Pierre Schaeffer, où il compose des chefs-d’œuvre de l’électroacoustique comme Diamorphoses (1957) ou Orient-Occident (1960). Mais il ne pourra pas continuer dans cette voie, car Schaeffer, décidé à passer à ce qu’il appelle « recherche musicale », fait, en quelque sorte, le vide autour de lui : Xenakis quitte le GRM en 1963. D’autre part, il introduit la notion de « formalisation » et publie en 1963 le livre Musiques formelles, où il explique son utilisation des probabilités, de la théorie des jeux et la théorie des ensembles. Vers le milieu des années 1960, il produit une ultime formalisation —application de la théorie des groupes (Nomos alpha, 1965-1966, exemple 6)— qui met le point final à sa tentative de fonder la musique.

S’ensuivent des préoccupations plus diversifiées, qui correspondent également à une renommée exponentiellement croissante : travail autour du théâtre antique (Orestie, 1966), expérimentations sur la spatialisation du son (Terretektorh, 1965-66, où le public est installé au sein de l’orchestre exemple 7), polytopes (exemple 12).

L’œuvre de Xenakis prolifère, en utilisant des techniques variées comme les « mouvements browniens » ou les « arborescences » (exemple 8). L’intensité dramatique est présente, d’une manière encore plus visible que par le passé (Cendrées, 1973), de même que la pure gestualité (Psappha, 1975). Par ailleurs, ayant fondé son centre de recherches, le CEMAMu, il fait construire en 1975 l’UPIC, le synthétiseur à commande graphique (exemple 10).

Une dernière période, centrée sur la théorie des cribles, commence vers le milieu des années 1980. Sa musique devient de plus en plus compacte, faite de blocs très denses, à la manière de murs cyclopéens. L’écriture instrumentale explore le dispositif orchestral (Horos, 1986, Kyania, 1990). Xenakis, qui meurt en 2001, intitule sa dernière pièce : O-Mega (1997) —le « o-grand », dernière lettre de l’alphabet grec.



Pratiques compositionnelles


La pratique compositionnelle de Xenakis est très diversifiée : du calcul le plus complexe (théorie des groupes ou formules probabilistes) au graphique (glissandi) ; de préoccupations spatiales à des recherches sur des échelles de hauteurs. Je me limiterai ici à présenter brièvement un certain nombre de pratiques que l’on peut regrouper autour de trois catégories : morphogenèse, probabilités et expressions logiques.


- Morphogenèse

Un outil très important pour Xenakis fut le graphique sur du papier millimétré (avec, comme deux dimensions, la hauteur et le temps), qu’il traduisait ensuite en notation solfégique. C’est par cette méthode qu’il composa les sonorités totalement inouïes du début et de la fin de Metastaseis (1953-54), constituées de gigantesques champs de glissandi. Dans la section finale (exemple 2), les cordes, totalement individuées, partent d’un cluster étalé sur tout le registre et finissent par converger vers un unisson en suivant des lignes brisées —ce sont des glissandi linéaires.

D’autres exemples de formes plastiques sont fournis par les « mouvements browniens » lorsque, dans les années 1970, Xenakis les transfère à la musique instrumentale : les courbes continues du graphique donnent des glissandi non-linéaires. Autre exemple : les arborescences (exemple 8).

Il était normal que cette recherche aboutisse à l’invention de l’UPIC, où Xenakis dessine directement la courbe de pression du son ainsi que, à un second niveau, le développement du son dans le macrotemps (exemple 10).

Xenakis a peu parlé de ses graphiques, sinon en disant, à propos des mesures 52-59 de Pithoprakta (exemple 3), qu’ils constituent une « modulation plastique de la matière sonore » (Musiques formelles, p. 30). Avec le recul, il serait possible d’évoquer, à leur propos, des préoccupations morphogénétiques, et de les mettre en rapport avec sa quête d’une « morphologie générale ».

Les analystes de la musique de Xenakis se servent fréquemment de transcriptions graphiques (exemple 4).


- Probabilités

Xenakis s’est servi des probabilités à plusieurs moments de son itinéraire musical et dans des buts différents. La révolution de Pithoprakta (le titre signifie « actions dues aux probabilités ») a été leur introduction pour calculer la distribution de sons formant un « nuage sonore ». Pour fonder sa démarche, Xenakis effectua une métaphore géniale : « Identifions les sons ponctuels, par exemple : pizz., aux molécules ; nous obtenons une transformation du domaine physique au domaine sonore. Le mouvement individuel des sons ne compte plus. L’effet massal et son évolution prennent tout un sens nouveau, le seul valable, lorsque les sons ponctuels sont en nombre élevé » (article de 1958, « Les trois paraboles », repris dans Musique. Architecture, p. 19). Ce transfert (de la physique moléculaire à la composition instrumentale) lui permit de réaliser les masses sonores qu’il reprochait aux sériels de donner à entendre, mais sans les composer directement. Rapidement, la question des probabilités, avec Achorripsis (1956-57), rejoint les préoccupations en matière de formalisation : Xenakis recherche le « minimum de contraintes » (cf. Musiques formelles p. 33-36) pour composer une œuvre musicale. Presque au même moment, avec la partie électroacoustique d’Analogique (1958-59), la vision probabiliste, appliquée cette fois au domaine du microson, préfigure la synthèse granulaire. En somme, Xenakis, dès ses débuts, explore trois philosophies des probabilités : le comportement de masses sonores ; l’idée d’une composition ex nihilo ; une vision granulaire du son.

A la fin des années 1960, il crée une synthèse sonore stochastique (probabiliste). Critiquant l’analyse de Fourier, il propose de dessiner directement la courbe de pression du son et, pour obtenir des sons riches, de générer ces courbes avec des fonctions probabilistes : des marches aléatoires ou « mouvements browniens ». A la fin des années 1980, avec le programme GENDY (exemple 11), il génère en continu du son à base de fonctions probabilistes (Gendy3, 1991).


- Expressions logiques

Le formalisme mathématique a intéressé Xenakis durant l’époque de Musiques formelles, avec la théorie des jeux (Duel, 1959), la théorie des ensembles (Herma, 1961) et la théorie des groupes (Nomos alpha, 1965-66, dont une partie de la formalisation est issue d’un groupe formé des rotations d’un cube, (exemple 6).

De cette dernière découle une théorie qui lui est propre et que l’on retrouve dans plusieurs de ses œuvres : la théorie des « cribles ». Il s’agit d’un outil permettant de générer des échelles (qui peuvent être non octaviantes, utiliser des micro-intervalles, etc.). L’expression logique d’un crible utilise les opérations de la conjonction, de la disjonction et de la négation ainsi que la théorie des congruences : dans le total des valeurs possibles (par exemple, le total chromatique), un crible permet de choisir certaines valeurs (cf. Musique. Architecture, p. 38-70 et Kéleütha, p. 75-87). Xenakis utilise les cribles de hauteurs dans quelques pièces des années 1960, et il la généralise à partir de la fin des années 1970 (exemple 9). Par ailleurs, certaines pièces de la fin des années 1960 et du début des années 1970 utilisent aussi des cribles de durées (Persephassa, 1969).

On pourrait appréhender également comme le résultat de l’application d’un formalisme mathématique les quelques sections d’œuvre que Xenakis compose, dans les années 1980, avec la théorie des automates cellulaires (Horos, 1986).



Sculpter le son


Indépendamment de ses pratiques compositionnelles, la musique de Xenakis peut être écoutée et analysée comme son composé. Dans sa musique instrumentale comme dans celle électroacoustique, Xenakis s’inscrit dans et prolonge cette tradition, qui commence avec Debussy, où la composition du son tend à se substituer à la composition avec des sons.

Xenakis a émis l’hypothèse d’une « sonorité de second ordre » (Musiques formelles, p. 122) à propos d’Analogique (1958-1959) : les neuf cordes ne jouent que des sons ponctuels (arcos brefs, pizzicatos ou battutos col legno) et la bande est fabriquée avec des nuages de sinus très brefs ; ces sons ponctuels instrumentaux et ces sinus représentent les « grains sonores » et Xenakis espère que l’oreille les fusionnera pour entendre un son global. Cette hypothèse implique donc que la composition (de l’œuvre entière) est une synthèse (du son) à une échelle supérieure.

Cependant, Analogique constitue une exception chez Xenakis. Le cas le plus général dans sa musique ne fait pas appel à une volonté de fusion (intégration) totale pour l’oreille, où la macrocomposition serait déduite sans médiations de la microcomposition. Plutôt, on peut présenter toute œuvre de Xenakis comme une succession de sonorités, c’est-à-dire de globalités composées qui valent comme son (synthétique) seulement à un niveau métaphorique. Prenons comme exemple le début de Jonchaies (1977), à partir de la mesure 10 et jusqu’à la mesure 62, qui met en scène les cordes. Il constitue une très longue section, quasi monolithique, avec une évolution intérieure progressive très claire, à l’image de l’évolution d’un son unique. Les cordes sont divisées en dix-huit parties qui se doublent ou s’individualisent. La section démarre avec une ligne à l’unisson dans l’aigu qui, suivant un parcours sinueux, descend d’une manière irrégulière vers le grave. Progressivement entrent d’autres lignes qui épousent le même parcours selon une technique qui évoque un canon ou, plus exactement, un discours hétérophonique. Aux mesures 24-29, l’ensemble atteint le registre grave, puis commence une ascension selon la même logique sinueuse et hétérophonique. A la mesure 43, l’une des lignes atteint la note la plus aiguë, suivie progressivement par les autres. Le trajet mélodique piétine ensuite dans l’aigu et enfin, quelques lignes descendent à nouveau vers le grave. Malgré son important étalement dans le temps, le trajet, très continu, est suffisamment schématique pour que l’oreille le suive d’un bout à l’autre, comme le ferait l’œil avec un schéma. Par ailleurs, tout ce passage se fonde sur un crible (échelle) unique (exemple 9), un crible qui, selon Xenakis, serait proche de l’échelle du pelog (cf. ses entretiens avec Varga, p. 162).

De toute évidence, le propos n’est pas le crible lui-même, en tant que succession de hauteurs. Du fait qu’il s’étale sur une durée aussi longue, qu’il est exploré patiemment sur toute son étendue d’une manière aussi linéaire et qu’il est traité dans le gigantesque halo sonore que provoque la technique de l’hétérophonie, on dira que ce crible est utilisé pour sa couleur. C’est pourquoi tout ce passage constitue une sonorité : on peut le percevoir métaphoriquement comme un son qui se déploierait progressivement et dont on explorerait, comme au microscope et avec un effet de ralenti, la composition interne ainsi que l’évolution temporelle.

Quelques (rares) pièces de Xenakis épousent d’ailleurs le « modèle du son » : l’œuvre entière simule le déploiement dans le temps d’un seul son —un modèle que réactiveront les musiciens spectraux. C’est le cas d’Eonta (1963-1964) : par exemple, la première grande partie (mesures 1-140), après une longue introduction qui évoque les « nuages de sons » de Herma (1961), est constituée de quatre sections où les cuivres évoluent progressivement de très longues tenues vers des sons brefs et changeant sans cesse de hauteur.

La manière avec laquelle Xenakis développe la conception d’une musique comme son composé (sonorité) est particulière : il travaille à la manière d’un sculpteur. La méthode graphique n’est pas étrangère à cette particularité —pensons aux glissandi de Metastaseis (exemple 2), aux nuages de sons de Pithoprakta (exemple 3), aux arborescences (exemple 8) ou aux compositions réalisées sur l’UPIC (exemple 10), qui se présentent comme des blocs sonores travaillés de l’intérieur.

Composée avec ou sans graphique, la musique de Xenakis est aux antipodes de la tradition qui fait de la musique un art du temps : avec lui, elle tend à devenir, en quelque sorte, art de l’espace.



Théories


Dans ses très nombreux écrits, Xenakis a développé plusieurs thèmes. Parmi les plus importants, tels qu’ils se présentent dans leur développement plus ou moins chronologique :

- Une conception globale du son

A ses débuts, Xenakis a insisté sur une conception globale de la musique, qu’il envisage comme « masse, surface » (cf. « La crise de la musique sérielle », repris dans Kéleütha, p. 39-43). C’est par l’introduction des probabilités qu’il a pu composer des « nuages sonores » (cf. le premier chapitre de Musiques formelles).


- Formalisation

Grâce à Musiques formelles, cette expression fit fortune, et l’on a tendance parfois à l’identifier à toute l’entreprise xenakienne. Il n’est pas difficile de comprendre les raisons de ce succès : le travail avec l’ordinateur a conduit la musique à rechercher à formaliser ce qui, par le passé, relevait de codifications implicites. Il faut cependant souligner le fait que, chez Xenakis, la notion de formalisation ne constitue pas une notion homogène. Elle comprend au moins trois sens :

a) l’idée « d’axiomatiser » la musique, de la fonder (au sens du débat épistémologique autour des mathématiques). L’écrit qui va le plus loin dans ce sens est l’article de 1966 « Vers une philosophie de la musique » (repris dans Musique. Architecture, p. 84-92) ;

b) l’idée de fabriquer un « mécanisme » (un automate), une « boîte noire » qui, après l’introduction de quelques données, produirait une œuvre musicale entière. C’est ainsi qu’il faut comprendre la quête de « phases fondamentales d’une œuvre musicale » et du « minimum de contraintes » à propos d’Achorripsis (cf. Musiques formelles, p. 33-36) ainsi que le programme GENDYN, où Xenakis reprendra les termes utilisés pour Achorripsis : « […] le défi consiste à créer de la musique en commençant, autant que cela est possible, avec un minimum de prémisses, mais qui seraient “intéressantes” du point de vue d’une sensibilité esthétique contemporaine, sans emprunter aux chemins connus ou être piégé par eux » (Formalized Music, p. 295) ;

c) le troisième sens est le plus général : il s’agit tout simplement de l’utilisation des mathématiques pour composer (sur ce point, il faut préciser que seule une petite partie de la musique de Xenakis utilise des mathématiques au sens strict du terme).


- Du dionysiaque

« L’art (et surtout la musique) a bien une fonction fondamentale qui est de catalyser la sublimation qu’il peut apporter par tous les moyens d’expression. Il doit viser à entraîner par des fixations-repères vers l’exaltation totale dans laquelle l’individu se confond, en perdant sa conscience, avec une vérité immédiate, rare, énorme et parfaite », lit-on dans l’introduction de Musiques formelles (p. 15). Les assertions de ce type, qui contrebalancent les références aux sciences, ne sont pas rares dans les écrits de Xenakis, bien qu’elles ne soient jamais développées. Elles suggèrent l’aspect dionysiaque de Xenakis, attiré par une nature orgiaque : « L’auditeur sera […] soit perché sur le sommet d’une montagne au milieu d’une tempête l’envahissant de partout, soit sur un esquif frêle en pleine mer démontée, soit dans un univers pointilliste d’étincelles sonores, se mouvant en nuages compacts ou isolés », écrit-il à propos de Terretektorh (pochette du disque ERATO STU 70529).


- Hors-temps/en-temps

Xenakis développe cette dichotomie dans sa seconde critique de la musique sérielle (cf. l’article de 1967 « Vers une métamusique », repris dans Musique. Architecture, p. 59), qu’il accuse d’avoir accéléré l’évolution de la musique occidentale tendant à évacuer les structures hors-temps. Voici sa définition de cette dichotomie : « Il faut distinguer deux natures : en-temps et hors-temps. Ce qui se laisse penser sans changer par l’avant ou l’après est hors-temps. Les modes traditionnels sont partiellement hors-temps, les relations ou les opérations logiques infligées à des classes de sons, d’intervalles, de caractères…, sont aussi hors-temps. Dès que le discours contient l’avant ou l’après, on est en-temps. L’ordre sériel est en-temps, une mélodie traditionnelle aussi » (Kéleütha, p. 68).


- Alliages arts/sciences

C’est à l’occasion de la soutenance de sa thèse sur travaux que Xenakis forgea cette belle expression —la plus belle qu’il ait jamais utilisée quant à ses emprunts à la sphère des sciences : l’art-science, s’il devait survenir un jour, serait un « alliage », qui plus est, pluriel (« alliages ») et non une synthèse parfaite. Le fondement de ces alliages serait « une nouvelle relation entre arts et sciences, notamment entre arts et mathématiques, dans lesquelles les arts “poseraient” consciemment des problèmes pour lesquels les mathématiques devraient et devront forger de nouvelles théories » (Arts/Sciences. Alliages, p. 14).


- Pour une morphologie générale

C’est également dans Arts/Sciences. Alliages que Xenakis explicite son intérêt fondamental pour une théorie des formes : « Il est […] temps de fonder une nouvelle science de “morphologie générale” qui traitera des formes et des architectures [… des] diverses disciplines, de leurs aspects invariants et des lois de leurs transformations qui parfois ont duré des millions d’années. La toile de fond de cette science nouvelle devra être faite des condensations réelles de l’intelligence, c’est-à-dire de l’approche abstraite, dégagée de l’anecdotique de nos sens et de nos habitudes. Par exemple, l’évolution formelle des vertèbres des dinosaures est un des documents paléontologiques à verser aux dossiers de la science des formes » (Arts/Sciences. Alliages, p. 14).


- Le temps

Les textes tardifs de Xenakis laissent percer une interrogation sur la notion de temps. Son article de 1988 « Sur le temps » (repris dans Kéleütha, p. 94-105) s’ouvre ainsi : « Le temps n’est-il pas simplement une notion-épiphénomène d’une réalité plus profonde ? »


- De l’originalité

La notion d’originalité occupe également certains textes tardifs, où Xenakis sous-entend que la création artistique doit être à l’image d’une démiurgie, d’une originalité absolue (cf. son article 1984, « Musique et originalité », repris dans Kéleütha, p. 106-111).



Les polytopes


Le Pavillon Philips (1958), issu de la collaboration de Le Corbusier, Varèse et Xenakis constitue une des toutes premières manifestations d’un nouvel art regroupant le son, l’image et l’espace, devenu possible grâce à la technologie. Xenakis traite de cette expérience dans son article de 1958 « Vers un “geste électronique” » (repris dans Musique. Architecture, p. 143-152). Il reprendra cette idée pour réaliser ce qu’il appellera « polytopes » (« plusieurs lieux ») —du Polytope de Montréal(1967) au Diatope (1978)—, qui combinent des compositions musicales, des spectacles lumineux automatisés et, parfois, des structures architecturales originales.

Cette synthèse des arts est foncièrement différente de celle tentée par l’opéra, où l’agglomération des arts se produisait par la présence d’un élément fédérateur, la musique —à ce titre, il conviendrait peut-être mieux de parler de « somme des arts ». Si l’on peut juxtaposer les arts, nous dit Xenakis, c’est parce que, malgré leur différenciation, les sens coïncident à un niveau profond : « La profondeur des émotions au sens étymologique semble proportionnellement inverse à la variété et à la richesse des médias. Plus on s’achemine vers l’ascétisme de chaque activité artistique, plus se rétrécit le champ des valeurs absolues. [… Nous sommes ainsi conduits] au refus de toute correspondance ou équivalence entre les expressions par exemple de la vue et de l’ouïe […] Le miracle de l’équivalence se produit derrière l’oreille ou l’œil, dans les sphères profondes de l’esprit »(Κειµενα περι µουσικης και αρχιτεκτονικης, p. 105).

Sa réalisation majeure dans ce domaine est peut-être le Diatope, conçu pour l’inauguration du Centre Georges Pompidou. Xenakis construisit une structure architecturale démontable (exemple 12), qui prolonge et renouvelle les paraboloïdes hyperboliques du Pavillon Philips. Le plancher était recouvert de dalles translucides (exemple 13). Le spectacle lumineux était produit par des rayons lasers et des flashs lumineux. Avec ces derniers, Xenakis réalisait des configurations géométriques variées (exemple 14). La musique diffusée constitue l’une des plus belles pièces électroacoustiques de Xenakis : La légende d’Eer (1977).

A la fin des années 1970, Xenakis rêva de polytopes de plus en plus démesurées, révélant ainsi leur dimension utopique : « Il n’y a aucune raison pour que l’art ne sorte, à l’exemple de la science, dans l’immensité du cosmos, et pour qu’il ne puisse modifier, tel un paysagiste cosmique, l’allure des galaxies. Ceci peut paraître de l’utopie, et en effet c’est de l’utopie, mais provisoirement, dans l’immensité du temps. Par contre, ce qui n’est pas de l’utopie, ce qui est possible aujourd’hui, c’est de lancer des toiles d’araignées lumineuses au-dessus des villes et des campagnes, faites de faisceaux lasers de couleur, telles un polytope géant : utiliser les nuages comme des écrans de réflexion, utiliser les satellites artificiels comme miroirs réfléchissants pour que ces toiles d’araignées montent dans l’espace et entourent la terre de leurs fantasmagories géométriques mouvantes ; lier la terre à la lune par des filaments de lumière ; ou encore, créer dans tous les cieux nocturnes de la terre, à volonté, des aurores boréales artificielles commandées dans leurs mouvements, leurs formes et leurs couleurs, par des champs électromagnétiques de la haute atmosphère excités par des lasers. Quant à la musique, la technologie des haut-parleurs est encore embryonnaire, sous-développée, pour lancer le son dans l’espace et le recevoir du ciel, de là où habite le tonnerre » (Arts/Sciences. Alliages, p. 16-17).



Bibliographie - Webiographie


On trouvera la liste des réalisations de Xenakis ainsi qu’une bibliographie commentée des écrits de/sur Xenakis, réalisée par l’auteur de ces lignes, dans le site des Amis de Xenakis : www.iannis-xenakis.org. Nous présentons ici une bibliographie sommaire :


Ecrits (et entretiens) de Xenakis (livres)

  • Musiques formelles = Revue Musicale n°253-254, 1963, 232p. Réédition : Paris, Stock, 1981, 261p.

  • Musique. Architecture, Tournai, Casterman, 1971, 176p. Nouvelle édition, augmentée : Tournai, Casterman, 1976, 238p.

  • Formalized Music, traduction Christopher Butchers, G. H. Hopkins, John Challifour, Bloomington, University Press, 1971, 273p. Nouvelle édition, augmentée et traduite par Sharon Kanach, Stuyvesant (New York), Pendragon Press, 1992, 387p. (la dernière édition comprend Musiques formelles, les articles sur la musique de Musique. Architecture et quelques articles plus récents).

  • Arts/Sciences. Alliages, Tournai, Casterman, 1979, 152p.

  • Kéleütha, sous la direction d’Alain Galliari, préface de Benoît Gibson, Paris, L’Arche, 1994, 143 p.

  • Κειµενα περι µουσικης και αρχιτεκτονικης, édition critique par Makis Solomos, Athènes, Psychogios, 2001, 276p.

  • DELALANDE François, “ Il faut être constamment un immigré ”. Entretiens avec Xenakis, Paris, Buchet-Chastel/INA-GRM, 1997, 188p.

  • VARGA Bálint A., Conversations with Iannis Xenakis, London, Faber and Faber, 1996, 255p.


    Ecrits sur Xenakis (livres, thèses et numéros de revues consacrés à Xenakis)

  • BALTENSPERGER André, Iannis Xenakis und die Stochastische Musik. Komposition im Spannungsfeld von Architektur und Mathematik, Zürich, Paul Haupt, 1995, 709p.

  • CHARLES Daniel, La pensée de Xenakis, Boosey and Hawkes, 1968, 29p.

  • DA SILVA SANTANA Helena Maria, L’orchestration chez Iannis Xenakis : l’espace et le rythme fonctions du timbre, thèse de doctorat, Université de Paris IV, 1998, 461p.

  • Dossier Iannis Xenakis = Entretemps n°6, 1988, p. 57-143.

  • Espace Xenakis, sous la direction de Serge Provost = Circuits vol. 5 n°2, 1994, p. 1-81.

  • FLEURET Maurice, Xenakis, discothèque de Paris, 1972, 63p.

  • FLINT Ellen R., An investigation of real time as evidenced by the structural and formal multiplicities in Iannis Xenakis’ Psappha, Ph. D., University of Maryland College Park, 1989, 672p.

  • HOFFMANN Peter, Amalgam aus Kunst und Wissenschaft. Naturwissenschaftliches Denken im Werk von Iannis Xenakis, Frankfurt-am-Main, Peter Lang, 1994, 176p.

  • Ιαννης Ξενακης. Ενα αφιερωµα του Εθνικου Μετσοβιου Πολυτεχνιου προς εναν αποφοιτο του, Athènes, Συγχρονη Εποχη, 1994, 121p.

  • Iannis Xenakis = Musik-Konzepte n°54-55, 1987, 194p.

  • Iannis Xenakis = MusikTexte vol. 13, 1986, p. 17-60.

  • Iannis Xenakis = MusikTexte n°89, n°90, Köln, 2001.

  • ILIESCU Mihu, Musical et extramusical. Eléments de pensée spatiale dans l’œuvre de Iannis Xenakis, thèse de doctorat, Université de Paris I, 1996, 393p.

  • LACROIX Marie-Hortense, Pléiades de Yannis Xenakis, Paris, Michel de Maule, 2001, 106p.

  • MATOSSIAN Nouritza, Iannis Xenakis, Paris, Fayard, 1981, 325p.

  • Portrait(s) de Iannis Xenakis, sous la direction de François-Bernard Mâche, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 2001, 227p.

  • Présences de Iannis Xenakis, sous la direction de Makis Solomos, Paris, CDMC, 2001, 268p.

  • Regards sur Iannis Xenakis, préparé et organisé par Hugues Gerhards, Paris, Stock, 1981, 416p.

  • REVAULT D’ALLONNES Olivier, Xenakis : Les Polytopes, Paris, Balland, 1975, 135p.

  • SCHMIDT Christoph, Komposition und Spiel. Zu Iannis Xenakis, Köln, Verl. Schewe (Berliner Musik Studien Bd. 4), 1995, 288p.

  • SOLOMOS Makis, A propos des premières œuvres (1953-69) de I. Xenakis. Pour une approche historique de l’émergence du phénomène du son, thèse de doctorat, Paris, Université de Paris IV, 1993, 675p.

  • SOLOMOS Makis, Iannis Xenakis, Mercuès, P. O. Editions, 1996, 176p.

  • SQUIBBS Ronald J., An analytical Approach to the Music of Iannis Xenakis : Issues in the Recent Music, Ph. D., Yale University, 1996, 211p.

  • Swiat Xenakisa = Muzyka vol.XLIII n°4, Varsovie, Instytut PAN, 1998, 166p.

  • Xenakis = L’Arc n°51, 1972, 88p.

  • Xenakis, a cura di Enzo Restagno, Torino, EDT/Musica, 1988, 315p.

  • Yannis Xenakis et la musique stochastique = Revue Musicale n°257, 1963, 24p.


    Sites Web

    Deux sites sont consacrés à Xenakis :

  • www.iannis-xenakis.org

  • www.xenakisworld.com




    © Makis Solomos & Leonardo/Olats, juin 2007


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